Méthodologie de recherche-création – le jeu créatif

Sans surprise, l’improvisation est un outil majeur pour la création d’œuvres artistiques et est au cœur de multiples pratiques telles que le théâtre improvisé, certaines performances de danse contemporaine, ou encore la musique telle que le jazz (Calamel associe de manière intéressante le jazz à une sorte de méthodologie (de la coopération) (2015)). Or, elle trouve aussi bien sa place en recherche(-création), non seulement comme un objet d’étude, mais aussi comme un moteur créatif : « L’improvisation permet d’explorer des situations et leurs enjeux en acte, sans discourir beaucoup au préalable, ce qui rend possible le surgissement de possibles non prémédités » (Boudier 2023, 14).

Une image dont le contenu (figures de base puis effets appliqués) ont été entièrement improvisés à l’aide d’une série de logiciels (Unity, Corel Paintshop, Pixlr).

Si l’improvisation est parfois imaginée comme un acte sans préparation, il en est tout autre en pratique : « on ne s’improvise pas improvisateur, et [improviser] demande précisément une préparation spécifique » (Jacquet 2007, 6). Autrement dit, une improvisation réussie requiert une connaissance préalable suffisamment approfondie d’un langage (artistique, technique), des codes à l’intérieur d’un genre, d’un thème, ou d’une ambiance choisie, et des outils de création mis à notre disposition. Ainsi, qui cherche-crée et souhaite improviser dans sa démarche doit d’abord s’approprier certains fondements de sa pratique avant d’espérer analyser avec discernement des résultats inattendus (qu’est-il même attendu à la base des outils employés?).

Dans un moteur de développement de jeux, chaque module, chaque outil, chaque ensemble de paramètres suffisamment émergents, devient naturellement un instrument à travers lequel une improvisation est envisageable.

Le développement de jeux vidéo dans un cadre de recherche-création n’échappe pas à ces remarques. Notons par cette occasion comment l’improvisation apparaît comme un unique lien de correspondance entre l’acte de jouer à un jeu et l’acte de créer un jeu (voir Delbouille et Hurel 2021). D’une part, on improvise afin d’apprendre à manipuler les mécaniques de jeu à notre faveur. D’autre part, Delbouille et Hurel (2021) démontrent, à l’aide d’entretiens avec des créateurs amateurs, comment l’improvisation peut devenir central à l’intérieur de phases de développements distinctes et être vécue ainsi comme un prolongement de l’acte de jeu.

Un rendu en path tracing est réapproprié arbitrairement jusqu’à générer des images troubles, dans Degradation: Kyomu’s Fury – 劣化:キョムの怒り (2023, Jesse Aidyn).

Similairement, l’improvisation au sein d’un procédé expérimental qui l’accueille et l’emploie comme guide vers des découvertes inusitées et inspirantes est à même d’être comprise comme une forme de jeu. Ce jeu est réglé nécessairement en fonction du cadre pratique de l’acte (quels outils sont employés, quelles sont les limites de la plateforme privilégiée?) ainsi que des contraintes liées à la recherche (sujets de recherche, contraintes méthodologiques, contraintes temporelles, financement) de même qu’à la création (objectifs prédéterminés, public visé, contexte artistique et narratif). Quels qu’en soient les règles, pourvu que les bases théoriques et pratiques nécessaires soient acquises (en jeu vidéo notamment, une méconnaissance des outils de création est à risque de générer de nombreux bogues rendant une expérience injouable), un potentiel innumérable de nouvelles paramétrisations et d’agencements inconnus nous attendent, prêts à être observés et bien entendu réfléchis, voire conceptualisés. Poussé à son paroxysme, le jeu comme outil de création s’étend dans le jeu résultant de la création, en fonction des pouvoirs transmis du créateur au joueur : les composantes manipulées par le créateur peuvent à leur tour être manipulées par le joueur.

Les paramètres régissant l’apparence du monde, et ainsi normalement utilisés pour créer un monde vidéoludique, sont transformés à l’aide d’inputs par un joueur, dans Panoramical (2015, Fernando Ramallo et David Kanaga).

Ce billet se veut ainsi un appel à jouer sans honte et à prendre grand plaisir dans son processus de recherche-création. Et un rappel de l’importance des découvertes fortuites, des accidents, des créations imparfaites, et de la potentielle valeur épistémologique de configurations difficiles à imaginer, mais qui n’attendent pourtant qu’à être performées.


Références

Boudier, Marion. À paraître. « La dramaturgie prospective : art, savoir et recherche-création ». Dans L’indiscipline dramaturgique, territoires de la dramaturgie, Actes de colloque, 25-27 mars 2019, Lyon. https://hal.science/hal-04173699/

Calamel, Charles. 2015. « Le Jazz : Une Méthodologie de la coopération ». [Rapport de recherche] CNAM. https://hal.science/hal-01203107/

Delbouille, Julie et Pierre-Yves Hurel. 2021. « Des Relations entre jouer et créer des jeux vidéo : La Piste de l’improvisation au prisme d’une approche pragmatique ». Appareil 23.

Jacquet, Stéphane. 2007. « L’improvisation au coeur de l’apprentissage de la musique ». Mémoire de maîtrise, Rhônes-Alpes, Cedefem.


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